Point d’ouïe, l’oiseau au cœur de l’écoute

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« Les oiseaux sont responsables de trois au moins des grandes malédictions qui pèsent sur l’homme. Ils lui ont donné le désir de grimper aux arbres, celui de voler, et celui de chanter…
Alors, quand on pense à l’Everest, aux fusées et au prolongement naturel de ses suggestions habilement introduites dans la cervelle de quelques primitifs par le bec pointu d’un archéopteryx gloussant, on s’en prend un peu aux oiseaux, et l’on voudrait qu’il soit presque muets, qu’ils ne quittent pas le sol et qu’ils nichent sous les pierres. (Chose désespérante, la nature à pensé à tout. Il en est qu’il remplissent ses conditions. Ce sont des oiseaux d’une espèce un peu particulière : les crapauds.) »
Boris Vian « En avant la zizique » Pauvert 1958

Après ce préambule teinté de l’humour pataphysique de Boris Vian, je focalise aujourd’hui sur la gente ornithologique, ses chants, et surtout sa place incontournable dans un paysage sonore qui, au sortir du déconfinement, s’est retrouvé, notamment en ville, à nouveau chahuté, voir chaotique. Retour à la normale et quelque part à l’anormal.

Notons qu’à la même époque que celle du texte de Vian, Charles Trenet chantait « Les oiseaux me réveillent par leurs chants et leurs cris. Ils font bien plus de bruit que les autos, les oiseaux. » Il n’est pas sûr que l’on puisse en dire autant aujourd’hui…

Vinciane Despret à  consacré récemment à ces chanteurs volatiles, entendez ce mot dans le sens qu’il vous plaira, comme un nom ou un adjectif, ou polysémiquement comme les deux, un ouvrage de plus intéressants « Habiter en oiseaux »(1)(2), approches philosophiques, éthologiques, au croisement de pensées vivifiantes.

Ces animaux volants sont pourvus, à la différence de nombreux vertébrés, de syrinx siffleurs de douces mélodies. Quoi qu’entre un rossignol virtuose, un merle moqueur et chanteur, un corbeau coasseur et une pie jacassante, tous n’ont pas, à mon avis, le même degré de raffinement dans leurs chants et cris respectifs. Esthétiquement parlant. Mais n’étant ni ornithologue, ni audionaturaliste, ni grand connaisseur de chants d’oiseaux (respect posthume Mr Messiaen), ni philosophe éthologue, je me contenterai de parler des oiseaux comme des acteurs, que j’espère incontournables, dans la construction de paysages sonores.

A priori chantres des forêts, icône sonore égayant nos déambulations sylvestres, cible très prisé des preneurs de sons animaliers, le genre ailée n’en est pas moins bien présent en ville, souvent beaucoup plus que l’on ne croit.
Bien sûr, certaines espèces sont particulièrement visibles, et/ou audibles, selon les époques et les lieux.

Pour ce qui est des oiseaux en forêt, sa présence est essentiellement acoustique, voire acousmatique (écoute dont on ne voit pas la source) car, dans les forêts les plus densément boisées, on ne voit en fait que très peu d’oiseaux chanteurs. Par contre on peut en entendre beaucoup, si cependant la forêt n’a pas trop été abimée. Ici commence le règne des ornithologues et des identifications des espèces par l’oreille. Redoutable et ludique exercice. Ces chants, marqueurs sonores de biocosmes, de microcosmes forestiers, sont aussi des alertes, entre autre de la disparition progressive d’espèces, pour différentes raisons (monoculture, déforestation, incendies, changements climatiques…). Chaque chant qui ne se fait plus entendre, chaque syrinx qui se tait, a hélas de fortes chances de signaler la disparition, ou au mieux la migration d’une espèce, ou de plusieurs espèces.

Par exemple, les nuées d’étourneaux grappilleurs automnaux, qui viennent se reposer dans les grands platanes urbains, après une journée de piratage viticole, qui « enfientent »les voitures d’une belle couleur lie de vin, et même les passants téméraires s’aventurant sous les arbres, tout cela dans un incroyable nuage acoustique qui parfois se déplace dans l’espace avec une vélocité remarquable.

Citons aussi les combats de pies et de corbeaux qui se poursuivent d’arbre en arbre avec des cris guerriers, affaire de territoires, querelles qui n’appartient pas seulement à l’homme… Bon ce ne sont pas là les exemples les plus flatteurs en terme d’espaces sonores, quoique…. ni en terme sanitaire, avec le risque de se faire crotter le chapeau, au meilleur des cas si vous en portez.

Et que dire des parfois exaspérants roucoulements monotones des envahissants pigeons et tourterelles…

Le craquètement des cigognes qui jouent, sans chant ni cri de syrinx, des claquettes avec leurs becs, est assez surprenant pour qui l’entend pour la première fois, en Alsace ou ailleurs.

Certains soirs orageux, les martinets, réputés pour rester des jours en vol, voire y dormir, plongent très bas chasser les insectes en vol, dans de grandes flèches sonores assez stridentes, mais qui dessinent des espaces et des mouvements auriculaires des plus spectaculaires.

Le merle noir, migrateur, chanteur virtuose de ville, adore chanter haut et fort, au fait d’une toiture ou juché sur une cheminée. Un vrai phare auditif qui surveille la ville tout en sifflets, moqueurs, dit-on.

Dans certains sites architecturaux très minéraux, ce sont des chouettes et autres hiboux qui élisent domicile au creux des pierres et murailles, hululant à qui mieux mieux dés la nuit tombée. Je me souviens entre autre de beaux concerts nocturnes lors de résidences dans de superbes lieux tels l’Abbaye de Cluny et la Saline Royale d’Arc-et-Senans, toutes deux en Région Bourgogne Franche Comté.

Des éperviers habitent les tours des cathédrales et chassent en pleine ville, redoutables rapaces silencieux en hiver, et poussant de brefs « kiou kiou kiou » à l’époque de la nidification.

Et on pourrait encore longuement parler de ces oiseaux concertants, parfois déconcertants dans leurs rapports aux villes, à leur prédateurs, et aux hommes mais là, je sortirais de mon domaine de compétence.

Profitant du confinement des hommes lors de la crise du Covid, et surtout de celui de leurs polluantes automobiles, l’oiseau urbain s’est fait entendre à qui mieux mieux. Non pas qu’il est été plus nombreux, ni même qu’il ait piaillé plus fort, mais tout simplement parce qu’il n’avait plus la concurrence déloyale des sources sonores motorisées. L’émergence, ou plutôt la ré-émergence de ces sonorités avicoles en ont surpris, voire ravi plus d’un.e, redécouvrant une face cachée de leur environnement sonore quotidien et faisant de l’oiseau une nouvelle star chantante de la ville apaisée. Nombre d’articles, de commentaires, d’interviews l’ont démontré et en attestent au plus fort du confinement.
Pourtant, tout écouteur attentif, praticien de la ville comme une entité sonique, entendait, avant l’installation du méchant virus, chanter moult oiseaux urbains, ou de passage, dans les périodes de calme ou au cœur de lieux plus protégés, voire même au cœur des cités, sans forcément tendre l’oreille. d’autant plus que le spectre acoustique des oiseaux se situe dans un champ (chant) beaucoup plus élevé plus aigu dirait-on, que celui des transports. Il constitue donc constitue ce que l’on appelle justement une émergence sonore, se détachant nettement de la rumeur, du bruit de fond ambiant.

En fait, si on l’entend bien, c’est à dire en écoutant bien, le chant des oiseaux donne aux lieu une spatialisation qui en définit des contours, des champs, des mouvements toniques.
Prenons une place arborée ou un parc urbain, focalisons l’écoute sur les volatiles chantants, écoutons les dialogues, réponses, leurs déplacements sonores, froissements d’ailes compris. On a très souvent, surtout dans les matinées et les fins de journées printanières et estivales, un véritable pointillisme sonore, très précisément situable dans l’espace, qui vient d’ailleurs rompre avec les nappes épaisses et brouillonnes des circulations automobiles. Il peut s’agir pour nous de repères auriculaires donnant géographiquement l’échelle du lieu, et aussi un forme d’échelle sonore dans les fréquences comme dans les intensités.
C’est sans doute là un effet de filtrage acoustique qui peut nous permettre d’échapper à des formes sonores chaotiques fatigantes, en se accrochant à des éléments plus apaisants, moins agressifs, en principe, comme on peut le faire via des voix d’enfants dans un parc ou une cour d’école.
D’ailleurs, en parlant filtre ou psychoacoustique, pour employer un gros mot, nos protections acoustiques gomment sans doute la présence de voitures, comme celle d’oiseaux, dans une écoute urbaine globale peu consciente, ou peu aiguisée. Si par un réglage de type syntonisation (accord de fréquences en radiophonie), nous nous rebranchons sur la canal oiseau, alors nous constaterons qu’ils sont bien toujours là, et bien toujours perceptibles, voire clairement audibles.

Néanmoins, le bruit constant de la ville semble perturber le sommeil des moineaux, qui de plus, entendent moins, ou n’entendent plus les appels des oisillons qui ont faim, mettant en danger une espèce cohabitant depuis longtemps, de façon familière et sympathique avec les citadins.

Un des jeux de l’écoute paysagère consiste parfois à filtrer notre écoute en la canalisant, en tendant l’oreille vers des sources sonores choisies, animaux, enfants, fontaines, cloches, bruits de pas, vent, et en constatant que nous pouvons mettre en avant, ou quasiment ignorer des éléments auriculaires de notre environnement. Un sympathique jeu de filtrage et de mixage pour aiguiser l’oreille et en affuter ses capacités de discrimination (positive) des sons.

Notons également que des artistes ornithologues, ou passionnés d’oiseaux, trouvent mille richesses à noter, enregistrer, retranscrire sous forme musicale, de Clément Janequin à Olivier Messiaen, mais aussi aujourd’hui Bernard Fort et sa « Grive solitaire » ou encore Sainkho Namtchylak et ses impressionnants Night Birds.

Sans oublier l’immense travail de l’ornithologue Jean Rocher, un des pères de l’audionaturalisme qui a ouvert bien des oreilles à l’incroyable diversité des chants d’oiseaux dans le monde.

Les oiseaux, marqueurs acoustiques très présents dans nos environnement urbains, y compris dans les « mauvais jours », inspirateurs de compositeurs, sont une constituante importante du paysage sonore, et s’ils disparaissent de notre champ d‘écoute, chacun sait, ou devrait savoir, qu’il se passe alors des choses inquiétantes, voire plus, au niveau de nos milieux de vie.

 

1) https://www.actes-sud.fr/catalogue/nature-et-environnement/habiter-en-oiseau
2) https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/profession-philosophe-4974-vinciane-despret-philosophe-des-oiseaux

 

Écouter : Le chardonneret – France Culture –

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