Relier et construire les paysages par l’oreille

PAS – Parcours Audio Sensibles – Journées des Alternatives Urbaines – 2015 – Lausanne (Suisse) Quartier du Vallon – Co-réalisation avec la plasticienne Jeanne Schmidt

Poser une oreille curieuse et impliquée sur le monde, sur nos lieux de vie, pour construire de nouveaux espaces d’écoute(s), découvrir les points d’ouïe singuliers, développer les interconnections et sociabilités auriculaires, c’est avant tout travailler sur les transdisciplinarités, voire indisciplinarités de nos territoires, y compris auditifs.

Les arts sonores, aux croisements de multiples genres et pratiques, musiques et sons, installations plastiques multimédia, arts-performances, univers numériques et mondes virtuels… nous ont appris à poser de nouvelles écoutes, fabriquant des espaces-temps inouïs, où la notion de paysage (sonore) prend toute sa place.
Les postures d’écoute, l’immersion (physique, mentale, technologique…), les processus nomades, les matériaux sonores in situ, les récits croisant différents dispositifs et mises en situation, font que les arts sonores sont aujourd’hui des moyens de paysager des espaces de sociabilité écoutante inédits, pour ne pas dire inouïs.
Entre festivals, centres culturels, régulièrement, si ce n’est principalement hors-les-murs, les créations, des plus Hi-Tech aux plus sobres, se frottent aux villes, forêts, espaces aquatiques, architecturaux… pour jouer avec des acoustiques révélées, parfois chahutées, ou magnifiées.
Nous (re)découvrons des lieux mille fois traversés, par des formes d’arpentages sensibles, où le corps entier se fait écoutant, résonnant, plongé dans des espaces sonores à la fois familiers et dépaysants.
L’écologie, si ce n’est l’écosophie se croisent activement, partagent leurs utopies, dystopies, protopies, et autres récits en construction, au niveau des territoires écoutés, et des arpenteurs écoutants.

L’ aménagement du territoire, avec l’urbanisation, la gestion des espaces ruraux, « naturels », les contraintes économiques, sociales, écologiques, les bassins d’activités et les populations y résidant, y travaillant… sont questionnés par de nouvelles pratiques auriculaires, évoquées précédemment.
Aux lectures de paysages, plans d’urbanisation, projets architecturaux, approches de tourismes culturels raisonnés… le croisement, les hybridations arts./cultures/aménagements, ont tout intérêt à être pensés et mis en œuvre en amont de projets territoriaux.
Les parcours sonores, créations issues de field recording (enregistrements sonores de terrain) et autres formes hybrides, invitent à (re)penser des espaces où le son n’est pas que nuisance, ni objets esthétiques hors-sol. Il participe à une façon de travailler les contraintes du territoire, en prenant en compte les critères quantitatifs, qualitatifs, les approches techniciennes, humaines, le normatif et le sensible…

Le politique, le chercheur, l’aménageur, l’artiste, le citoyen résidant, travaillant, se divertissant… doivent se concerter pour envisager, si ce n’est mettre en place des actions en vue de préserver et d ‘aménager des espaces vivables, habitables, en toute bonne entente.
Zones calmes et ilots de fraicheur conjugués, mobilités douce, espaces apaisés et conviviaux, pensés via des offres culturelles et artistiques, au sein de projets de construction, de réhabilitation, sont autant d’outils et de créations prometteurs. Certes, ces approches ne résoudront pas tous les problèmes, mais ils contribueront à créer des endroits où mieux vivre, mieux s’entendre, mieux échanger, en résistance à toutes les tensions sociétales, climatiques, politiques, environnementales…

Aujourd’hui, j’ai la chance de participer à des projets, certes encore marginaux, où le son, l’écoute, sont considérés comme des éléments à prendre en compte pour le mieux-vivre, où une « belle écoute » est convoquée comme une forme de commun auriculaire partageable.
Entre les arts du son, du temps et de l’espace, ma pratique d’écoutant paysagiste sonore, et les gestes d’aménageurs, des espaces de croisements sont possibles, si ce n’est nécessaires, et ce malgré toutes les contraintes administratives, économiques, politiques…

Il nous faut encore et toujours provoquer les rencontres indisciplinées, installer des débats, mettre en commun les réflexions et savoir-faire de chacun, que ce soit sur un événement artistique, projet culturel, concertation autour d’aménagements urbains, ou milieux ruraux…

Il nous faut encore penser et construire ensemble, artistes, aménageurs, résidents… des aménités auriculaires, des poches de résistances apaisées, des oasis sensoriels, des espaces reliants, y compris par l’oreille.

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