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POINTS D'OUÏE, PAYS... New 7 Jan, 2025

Écoutez-voir – séquence 1 – L’ Angélus de Millet

Comment peut-on, sans autre artifice ni dispositif que notre regard et notre écoute, interne, celle qui lit les repères sonores d’un tableau, d’une photographie, comme on déchiffrerait une partition musicale qui chanterait dans notre tête, entendre une représentation picturale « iconosonique » ?
L’idée peut paraitre étrange, et pourtant, j’ai envie de vous en proposer l’expérience. Regarder attentivement pour mieux entendre, quitte à imaginer une scène auriculaire où l’imagination reconstituerait des ambiances indécises, ou sujettes à variations, interprétations…
Je me frotte ici à une approche relevant du pur paysage sonore, celle de la représentation, voire d’une forme de re-construction sensible à l’aune d’une interprétation qui assume ses possibles dérives narratives et fictionnelles..

Pour cette première approche, cette confrontation d’un point de vue/point d’ouïe, j’ai choisi une œuvre archétype, emblématique d’une peinture naturaliste de l’École de Barbizon, le fameux « Angélus » de Jean-François Millet, célébrissime toile du Musée d’Orsay.

Le tableau est d’une composition simple, rigoureuse, presque austère, sans doute due à la vision d’une spiritualité intérieure qui ne se veut pas, loin de là, démonstrative. Tout juste un geste du quotidien, dans toute sa sobriété pastorale.
Au premier plan, un couple, tête penchée vers le sol, mains jointes, fait la prière de l’angélus de midi.
Juste derrière eux, une fourche plantée dans le sol et une brouette avec un sac de pommes de terre, précise l’action de ces deux protagonistes, des agriculteurs et agricultices en cueuillette. Au loin, au fond d’une plaine déserte, un clocher, celui de de l’église de Saint-Paul de Chailly-en-Bières exactement, non loin de Paris.
Le titre évoque d’emblée un fait sonore. C’est parce que le clocher sonne l’Angélus, celui de midi, que le couple suspend sa besogne pour prier.
La sonnerie de l’Angélus est, dans l’univers symbolique campanaire et religieux, clairement codifiée, donc facile à identifier. Tros tintements sur une cloche, assez lents, quelques secondes de silence, puis nouveaux tintements, silence, tintements. Neuf coups d’une cloche unique donc, suivis d’une volée, d’une à plusieurs cloches selon l’équipement du clocher.

Le clocher, faisant souvent office d’ « horloge publique  » scandant la journée est ici assez éloigné géographiquement, ce qui laisse présupposer que selon le vent dominant, on perçoit plus ou moins ses sonneries, voire pas du tout.
La taille du clocher semblant modeste à cette distance, nous fait imaginer que les coups teintés et la volée ne doivent pas être trop imposants, on est loin de la magnificence de Notre-Dame ou de la cathédrale de Strasbourg, plus à une échelle acoustique plus intime, recueillie, moins ostentatoire.
Côté ambiance, la longue plaine assez déserte , peu, voire pas boisée, ne semble pas favorable à accueillir foule d’oiseaux chanteurs. Peut être quelques rapaces chasseurs plus haut dans le ciel.
L’époque du tableau (1857/1859) nous dit que l’environnement acoustique n’était certainement pas perturbé ni par les automobiles, ni par les avions… La pollution sonore n’affectait pas encore ces parties reculée de la campagne. Ce qui fait que les émergences acoustiques, hormis périodes très venteuses ou orageuses, devaient se percevoir dans les moindre détails. Ici en l’occurrence, la ou les cloches du village.
Après renseignement, à l’époque du tableau, le clocher gothique abritait un seul bourdon fêlé, celui que qu’entendait le couple, remplacé aujourd’hui par trois cloches plus modestes ((Lucie-Gabrielle, Lucienne-Marcelle, et Solange). Si on retourne à leur position aujourd’hui, on n’entend donc plus la même chose, si tant est qu’un lotissement où des routes adjacentes ne masquent le son des cloches.

Autre invité de marque après que se soit tu l’Angélus, le silence. Même si on peut imaginer des prières chuchotées, à voix basse, il me semble que c’est plutôt dans un recueillement silencieux, méditatif, que se déroule l’action. Silence des personnages, et du paysage lorsqu’a cessé de sonner l’Angélus. Une forme de sérénité intérieure et extérieure loin de la folle agitation urbaine de nos cités contemporaines.

Mais imaginons la scène un peu avant. Nos deux protagonistes sont à la cueillette de pommes de terres. On entend le son de La fourche qui creuse le sol. Sans doute celui des plans que l’on secoue pour en faire tomber la terre, des légumes roulant sur le sol, puis jetés dans le sac sur la brouette. Imaginons le bruit de la roue de brouette qui peut-être grince, pour faire image sonore d’Épinal, et s’éloignera vers le village, ou la ferme voisine, la cueillette du jour achevée.

Il y a, dans la palette colorée, à la fois riche en nuances et sans grande rutilance, la même sobriété harmonieuse que celle sonore que l’on pourrait entendre, avec des traines campanaires, qu’aux vues la distance de l’église, on doit percevoir sans grand éclat, tout en douceur. Le son, la lumière, tissés en délicates nuances, ne distordent pas, mais sonnent et résonnent de concert.

Entre la trivialité, la simplicité du monde agricole, que Millet admirait, et la spiritualité religieuse de la cloche sonnante, qui relie le ciel et la terre dans une sorte d’arc acoustique, le son campanaire est, à la fois discret et moteur de l’action, au final un des héros de ce tableau.

J’ai conscience que, à l’instar du tableau de Millet, lequel représente sans doute une version quelque peu idéalisée d’une vie campagnarde rythmée au fil des travaux et des Angélus, mon écoute de cette scène picturale est sans doute proche de la carte postale sonore, au trait forcé. L’exercice mêlant clichés pittoresques et tentative de modélisation sonore et acoustique, conduit à un résultat qui n’évitera pas le stéréotype. Cet écueil étant assumé, l’exercice reste pour moi une expérience ludique, qui tend à mettre en lien regard et écoute via un média pictural, sans autre prétention.

C’est d’ailleurs après avoir écrit ces quelques lignes que je découvre la phrase de Millet concernant son œuvre « En regardant cette peinture, j’aimerais que le spectateur entende sonner les cloches. ». Il n’aurait pu dire plus juste. En tous cas, ce désir a trouvé chez moi un écho qui a résonné fortement dans mon approche, à tel point que j’ai été content de commettre, en toute subjectivité, cette analyse où l’œil écoute, et où sans doute l’oreille regarde.

APA style reference

Malatray, G. (2025). Écoutez-voir – séquence 1 – L’ Angélus de Millet. walk · listen · create. https://walklistencreate.org/2025/01/07/ecoutez-voir-sequence-1-l-angelus-de-millet/

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If you sleepwalk, or just like to stroll about after dark, you have a tendency to noctambulate, or walk around at night. Credits to Mark Peters.

Added by Geert Vermeire

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